1. Changer la perception du risque
« On vit dans une société où l’on met nos enfants dans du papier bulle. À force de les restreindre dans leurs mouvements, on crée des répercussions sur leur développement moteur, la pratique d’activité physique et même les saines habitudes de vie. Évalue-t-on réellement le danger ? Les réticences envers les jeux actifs et les activités de plein air viennent davantage de la perception du risque que du risque réel », affirme Joanie Beaumont, formatrice en gestion de risque pour le plein air en milieu scolaire à la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (FÉÉPEQ).
Jeu risqué : pas plus d’accidents graves !
Par crainte d’une poursuite ou de voir leur image ternie par un fâcheux incident, les institutions surprotègent les enfants. « Par précaution, les écoles vont mettre en place des réglementations beaucoup plus strictes au détriment du développement des enfants. Pourtant, les études montrent qu’il n’y a pas plus d’accidents graves lors de jeux extérieurs actifs. C’est plutôt le contraire », avance Mathieu Point, professeur au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les enfants qui auraient appris à grimper aux arbres ou à utiliser des outils auraient de meilleures aptitudes, seraient plus confiants et connaîtraient davantage leurs limites.
Pourquoi cette peur du jeu risqué ?
« Le manque de connaissances ou de compétences est à l’origine des craintes envers les jeux actifs », avance Joanie Beaumont. La médiatisation de cas isolés entretient la fausse croyance que les accidents sont nombreux et inquiète les parents, souligne pour sa part Mathieu Point.
Cette perception varie grandement d’une personne à l’autre, d’un établissement à l’autre. Parfois, il suffit qu’une seule personne réticente dans l’équipe-école s’exprime haut et fort pour que toute initiative de jeux risqués soit tuée dans l’œuf. « On se base à tort sur un biais affectif pour contraindre les pratiques. C’est la même chose pour les primes d’assurance. On les augmente sur quelles bases ? L’accidentologie ne vient pas appuyer cette position, il y a incohérence », précise Sébastien Rojo, chercheur à l’UQTR et spécialiste en intervention psychosociale par la nature.
« C’est un sujet délicat. Tout le monde a été formaté dans les 30 dernières années à mettre en place des environnements à risque zéro, dit Michèle Lebœuf, coordonnatrice du projet Alex — Éducation par la nature de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE). Là, on vient modifier tout ça. On ne banalise pas le risque, on le valorise comme levier de développement. Un ensemble de mesures doivent être mises en place en amont. Il y a des enjeux de responsabilité. On doit être prudent et soucieux de ce qu’on propose. »
Le milieu a une obligation de moyens et non de résultats, souligne Mme Beaumont. Si on a tout fait pour assurer la sécurité des enfants, l’adulte responsable ne peut être imputable en cas d’accident. Mais l’école et le milieu de garde (qui détiennent une assurance-responsabilité) peuvent néanmoins s’exposer à des poursuites.
2. Favoriser la concertation de tous les acteurs
Pour favoriser l’implantation et la durabilité d’une approche positive face au jeu risqué, Joanie Beaumont insiste : il importe de rassembler et de sensibiliser tous les acteurs concernés. On parle ici des enseignants, des parents, des membres du conseil d’établissement, de la direction, mais aussi du conseiller pédagogique, de l’avocat et de l’assureur du centre de service scolaire. « Souvent, l’enseignant a beaucoup de pression et peu de soutien. Il peut être bénéfique de former un comité diversifié, où chacun connaît les rôles et mandats des autres. »
À l’AQCPE, les assureurs sont informés de la nature des activités du projet Alex — Éducation par la nature. « On a partagé notre cadre de référence et tout a été accepté. Ils s’adaptent à notre réalité, ça reste dans le cadre normal des assurances », indique Me Patricia Lefebvre, directrice aux affaires juridiques et gouvernementales pour l’AQCPE. Qu’un enfant tombe dans la cour du CPE ou sur un sentier, le risque d’accident est similaire, jugent-ils. « On met toutes les règles de sécurité en place, peu importe où nous sommes. »
Les parents doivent bien sûr être mis dans le coup, informés à l’avance des visées de cette approche et de ses implications. « Nous avons questionné les parents : un an après le début de l’expérience pédagogique en milieu naturel, leurs craintes étaient vraiment très faibles ou inexistantes. Les parents sont les premiers à réclamer plus de nature pour leurs enfants », dit Michèle Lebœuf.
Les propriétaires ou gestionnaires de sites naturels (ex. les municipalités) sont parfois plus réfractaires. « Devant la surutilisation des espaces naturels, ils soulèvent des enjeux de sécurité et de perturbation de l’environnement. On réfléchit à des solutions viables de concert avec différents partenaires », dit Mme Lebœuf.
3. Valoriser la planification, la formation et les compétences
Oui, au jeu risqué, mais pas de façon improvisée. « Ce n’est pas parce qu’on enseigne dans une classe qu’on est en mesure de faire une activité qui se déroule bien à l’extérieur. Ce sont deux contextes d’intervention bien différents », indique Joanie Beaumont.
L’adulte responsable doit être à l’aise avec le jeu risqué et il doit être compétent dans l’activité proposée. Un enseignant peut être à l’aise d’exploiter la butte de neige et y permettre l’utilisation de trottinette des neiges. Une éducatrice se sentira plus à sa place de superviser une aire gazonnée destinée à la chamaille.
Pour Joanie Beaumont, l’important est d’y aller un petit pas à la fois. On expérimente dans la cour les jeux actifs sous la pluie, sous la neige, dans les feuilles. Ça fonctionne bien ? On se déplace au parc de proximité pour explorer. Dans un service de garde, on peut y aller un groupe à la fois (par exemple : les 4 ans) pour une transition progressive.
« Pour que la pratique perdure, il faut vivre des réussites. Si les enseignants font des activités à leur mesure et qu’ils notent des gains pour leurs élèves, ça crée un oumpf !, note Mme Beaumont. Il y a un réel devoir de planification et d’analyse. Plus on est préparé, plus on peut expliquer ce qu’on fait et pourquoi on le fait, plus l’adhésion sera forte. »
Michèle Lebœuf est d’accord. « On s’assure que l’éducatrice reçoive une formation au préalable, qu’elle a un lien de confiance avec les enfants et qu’elle a de l’équipement approprié, par exemple des crampons l’hiver. On n’enverra pas une remplaçante sans expérience en milieu naturel la première semaine », dit-elle. Les milieux visités sont aussi scrupuleusement évalués.
Des experts, comme Mathieu Point et Sébastien Rojo, peuvent accompagner les équipes-écoles dans un changement de pratique valorisant le jeu risqué. D’ailleurs, les centres de services scolaires du Centre-du-Québec et de la Mauricie ont accepté de recevoir des formations sur le jeu actif pour les classes de maternelle 4 ans. Le matériel didactique est aujourd’hui foisonnant pour aider à faire la transition. De plus en plus d’ouvrages de référence sont publiés, à la portée des intervenants.
Toutefois, dans un contexte de manque de personnel (et de roulement), le changement de pratique peut être difficile à implanter dans les écoles. Ça demande du temps et des ressources qui font parfois défaut.
4. Miser sur l’appel de la nature
Depuis quelques années, on sent que le vent tourne. On note dans la population générale (les parents inclus !) une volonté de se rapprocher de la nature, un intérêt grandissant pour l’éducation par la nature. « Il y a un petit mouvement qui s’installe. On doit maintenant conscientiser parents, enseignants et autres intervenants sur les façons de faire, dit Mathieu Point. On a un rôle, comme adultes responsables, de créer un environnement sécurisant qui permet la prise de risque. »
« L’éducation par la nature doit être réfléchie et bien encadrée, renchérit Michèle Lebœuf. Ma crainte est que, devant l’engouement grandissant, il y ait une baisse du niveau de vigilance, qu’on oublie que ça nécessite une préparation en amont. Si un événement non souhaitable survient, ça pourrait avoir un effet de ressac. Il faut anticiper et inviter les gens à maintenir un niveau élevé de vigilance. »
Un changement de mentalité s’installe et, grâce aux efforts concertés, celui-ci devrait perdurer. Car on le sait aujourd’hui : les nombreux avantages du jeu extérieur actif sont bel et bien démontrés !
Cour d’école : comment éliminer les freins au jeu risqué?
Grimper aux arbres. Se chamailler. Marcher sur la glace. Jouer avec des branches. Les jeux actifs et risqués favorisent grandement le développement des enfants. Pourtant, ceux-ci sont interdits dans la cour de plusieurs écoles et services de garde. Comment surmonter les obstacles au jeu actif ? Voici quelques pistes.
1. Changer la perception du risque
« On vit dans une société où l’on met nos enfants dans du papier bulle. À force de les restreindre dans leurs mouvements, on crée des répercussions sur leur développement moteur, la pratique d’activité physique et même les saines habitudes de vie. Évalue-t-on réellement le danger ? Les réticences envers les jeux actifs et les activités de plein air viennent davantage de la perception du risque que du risque réel », affirme Joanie Beaumont, formatrice en gestion de risque pour le plein air en milieu scolaire à la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (FÉÉPEQ).
Jeu risqué : pas plus d’accidents graves !
Par crainte d’une poursuite ou de voir leur image ternie par un fâcheux incident, les institutions surprotègent les enfants. « Par précaution, les écoles vont mettre en place des réglementations beaucoup plus strictes au détriment du développement des enfants. Pourtant, les études montrent qu’il n’y a pas plus d’accidents graves lors de jeux extérieurs actifs. C’est plutôt le contraire », avance Mathieu Point, professeur au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les enfants qui auraient appris à grimper aux arbres ou à utiliser des outils auraient de meilleures aptitudes, seraient plus confiants et connaîtraient davantage leurs limites.
Pourquoi cette peur du jeu risqué ?
« Le manque de connaissances ou de compétences est à l’origine des craintes envers les jeux actifs », avance Joanie Beaumont. La médiatisation de cas isolés entretient la fausse croyance que les accidents sont nombreux et inquiète les parents, souligne pour sa part Mathieu Point.
Cette perception varie grandement d’une personne à l’autre, d’un établissement à l’autre. Parfois, il suffit qu’une seule personne réticente dans l’équipe-école s’exprime haut et fort pour que toute initiative de jeux risqués soit tuée dans l’œuf. « On se base à tort sur un biais affectif pour contraindre les pratiques. C’est la même chose pour les primes d’assurance. On les augmente sur quelles bases ? L’accidentologie ne vient pas appuyer cette position, il y a incohérence », précise Sébastien Rojo, chercheur à l’UQTR et spécialiste en intervention psychosociale par la nature.
« C’est un sujet délicat. Tout le monde a été formaté dans les 30 dernières années à mettre en place des environnements à risque zéro, dit Michèle Lebœuf, coordonnatrice du projet Alex — Éducation par la nature de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE). Là, on vient modifier tout ça. On ne banalise pas le risque, on le valorise comme levier de développement. Un ensemble de mesures doivent être mises en place en amont. Il y a des enjeux de responsabilité. On doit être prudent et soucieux de ce qu’on propose. »
Le milieu a une obligation de moyens et non de résultats, souligne Mme Beaumont. Si on a tout fait pour assurer la sécurité des enfants, l’adulte responsable ne peut être imputable en cas d’accident. Mais l’école et le milieu de garde (qui détiennent une assurance-responsabilité) peuvent néanmoins s’exposer à des poursuites.
2. Favoriser la concertation de tous les acteurs
Pour favoriser l’implantation et la durabilité d’une approche positive face au jeu risqué, Joanie Beaumont insiste : il importe de rassembler et de sensibiliser tous les acteurs concernés. On parle ici des enseignants, des parents, des membres du conseil d’établissement, de la direction, mais aussi du conseiller pédagogique, de l’avocat et de l’assureur du centre de service scolaire. « Souvent, l’enseignant a beaucoup de pression et peu de soutien. Il peut être bénéfique de former un comité diversifié, où chacun connaît les rôles et mandats des autres. »
À l’AQCPE, les assureurs sont informés de la nature des activités du projet Alex — Éducation par la nature. « On a partagé notre cadre de référence et tout a été accepté. Ils s’adaptent à notre réalité, ça reste dans le cadre normal des assurances », indique Me Patricia Lefebvre, directrice aux affaires juridiques et gouvernementales pour l’AQCPE. Qu’un enfant tombe dans la cour du CPE ou sur un sentier, le risque d’accident est similaire, jugent-ils. « On met toutes les règles de sécurité en place, peu importe où nous sommes. »
Les parents doivent bien sûr être mis dans le coup, informés à l’avance des visées de cette approche et de ses implications. « Nous avons questionné les parents : un an après le début de l’expérience pédagogique en milieu naturel, leurs craintes étaient vraiment très faibles ou inexistantes. Les parents sont les premiers à réclamer plus de nature pour leurs enfants », dit Michèle Lebœuf.
Les propriétaires ou gestionnaires de sites naturels (ex. les municipalités) sont parfois plus réfractaires. « Devant la surutilisation des espaces naturels, ils soulèvent des enjeux de sécurité et de perturbation de l’environnement. On réfléchit à des solutions viables de concert avec différents partenaires », dit Mme Lebœuf.
3. Valoriser la planification, la formation et les compétences
Oui, au jeu risqué, mais pas de façon improvisée. « Ce n’est pas parce qu’on enseigne dans une classe qu’on est en mesure de faire une activité qui se déroule bien à l’extérieur. Ce sont deux contextes d’intervention bien différents », indique Joanie Beaumont.
L’adulte responsable doit être à l’aise avec le jeu risqué et il doit être compétent dans l’activité proposée. Un enseignant peut être à l’aise d’exploiter la butte de neige et y permettre l’utilisation de trottinette des neiges. Une éducatrice se sentira plus à sa place de superviser une aire gazonnée destinée à la chamaille.
Pour Joanie Beaumont, l’important est d’y aller un petit pas à la fois. On expérimente dans la cour les jeux actifs sous la pluie, sous la neige, dans les feuilles. Ça fonctionne bien ? On se déplace au parc de proximité pour explorer. Dans un service de garde, on peut y aller un groupe à la fois (par exemple : les 4 ans) pour une transition progressive.
« Pour que la pratique perdure, il faut vivre des réussites. Si les enseignants font des activités à leur mesure et qu’ils notent des gains pour leurs élèves, ça crée un oumpf !, note Mme Beaumont. Il y a un réel devoir de planification et d’analyse. Plus on est préparé, plus on peut expliquer ce qu’on fait et pourquoi on le fait, plus l’adhésion sera forte. »
Michèle Lebœuf est d’accord. « On s’assure que l’éducatrice reçoive une formation au préalable, qu’elle a un lien de confiance avec les enfants et qu’elle a de l’équipement approprié, par exemple des crampons l’hiver. On n’enverra pas une remplaçante sans expérience en milieu naturel la première semaine », dit-elle. Les milieux visités sont aussi scrupuleusement évalués.
Des experts, comme Mathieu Point et Sébastien Rojo, peuvent accompagner les équipes-écoles dans un changement de pratique valorisant le jeu risqué. D’ailleurs, les centres de services scolaires du Centre-du-Québec et de la Mauricie ont accepté de recevoir des formations sur le jeu actif pour les classes de maternelle 4 ans. Le matériel didactique est aujourd’hui foisonnant pour aider à faire la transition. De plus en plus d’ouvrages de référence sont publiés, à la portée des intervenants.
Toutefois, dans un contexte de manque de personnel (et de roulement), le changement de pratique peut être difficile à implanter dans les écoles. Ça demande du temps et des ressources qui font parfois défaut.
4. Miser sur l’appel de la nature
Depuis quelques années, on sent que le vent tourne. On note dans la population générale (les parents inclus !) une volonté de se rapprocher de la nature, un intérêt grandissant pour l’éducation par la nature. « Il y a un petit mouvement qui s’installe. On doit maintenant conscientiser parents, enseignants et autres intervenants sur les façons de faire, dit Mathieu Point. On a un rôle, comme adultes responsables, de créer un environnement sécurisant qui permet la prise de risque. »
« L’éducation par la nature doit être réfléchie et bien encadrée, renchérit Michèle Lebœuf. Ma crainte est que, devant l’engouement grandissant, il y ait une baisse du niveau de vigilance, qu’on oublie que ça nécessite une préparation en amont. Si un événement non souhaitable survient, ça pourrait avoir un effet de ressac. Il faut anticiper et inviter les gens à maintenir un niveau élevé de vigilance. »
Un changement de mentalité s’installe et, grâce aux efforts concertés, celui-ci devrait perdurer. Car on le sait aujourd’hui : les nombreux avantages du jeu extérieur actif sont bel et bien démontrés !
Quelques documents de référence :
Sécurité bien dosée, enfant comblé!
Manuel de gestion de risque en milieu scolaire de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec
À nous de jouer L’extérieur, un terrain de jeu complet
À nous de jouer Jeu actif et jeu libre pour le développement de l’enfant
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