Il faudrait lui enlever cette idée de la tête. Votre fille ne pourra jamais devenir ballerine. Marie-Sophie avait 11 ans lorsqu’elle a entendu cette phrase assassine de la bouche de son professeur. Elle dansait pour le plaisir depuis l’âge de 3 ans. Ses compétences n’étaient pas remises en question. Plutôt, son apparence physique. Saine pour nos enfants, la pratique de sports d’esthétisme ?
« Ça m’a pris 24 ans développer le courage de remettre les pieds dans un studio de ballet, sous les encouragements d’une amie qui souhaitait que je l’accompagne », dit Marie-Sophie, 37 ans.
« J’avais déjà des complexes comme préadolescente. Bien sûr que j’avais remarqué que je n’avais pas la silhouette filiforme de ma mère ou de ma sœur. J’étais plutôt bâtie comme mon père et mes frères, d’un corps qui se muscle facilement — mais j’aimais danser et je souhaitais évoluer dans le milieu artistique », raconte Marie-Sophie, aujourd’hui éditrice, chroniqueuse et chanteuse.
Le corps et les sports d’esthétisme
Selon l’Institut de la statistique du Québec, 45 % des enfants de 9 ans sont insatisfaits de leur silhouette. La pratique d’un sport valorisant l’esthétisme, comme le ballet, la gymnastique, la nage synchronisée ou le patinage artistique, peut-elle exacerber cette insatisfaction chez nos jeunes ?
« De façon générale, la pratique d’activité physique favorise le développement d’une image corporelle positive. Il est néanmoins vrai que, chez certains sports où un accent est mis sur l’apparence, on remarque une association avec une image corporelle plus négative, en particulier à des niveaux de pratique élite », dit Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et chef de projets chez ÉquiLibre, organisme à but non lucratif qui a comme mission de prévenir et de réduire les problèmes liés au poids et à l’image corporelle dans la population.
« Attentions toutefois, le lien n’en est pas un de cause à effet, ajoute Andrée-Ann Dufour-Bouchard. L’insatisfaction corporelle est de source multifactorielle : le simple fait de pratiquer un sport d’esthétisme ne va pas rendre un jeune plus mal dans sa peau. » L’estime de soi, la personnalité de l’enfant, la culture du sport et ses images véhiculées, l’attitude de l’entraineur (comme dans le cas de Marie-Sophie), le soutien des parents… tout ça entrerait plutôt en ligne de compte.
« Deux enfants dans une même situation peuvent la vivre bien différemment : un jeune qui danse en tenue ajustée dans une salle pleine de miroirs peut être préoccupé par son apparence, même s’il n’y a aucun autre danseur avec qui se comparer, alors qu’un autre peut se concentrer sur la précision de ses mouvements, être fier de sa capacité à se dépasser et se sentir très bien dans sa peau, », donnes-en exemple sa collègue, Karah Stanworth-Belleville.
Que devrait-on mettre sur notre radar de parent ?
L’organisme ÉquiLibre propose une vigilance accrue et une bonne communication avec notre jeune afin d’identifier tous drapeaux rouges. « Si notre enfant se soucie tout à coup davantage de son apparence ou de son alimentation, s’il présente l’intention de transformer son corps, si son comportement devient plus contrôlant ou si on sent que les préoccupations prennent plus de place que le plaisir, ce serait important de lui parler de ces changements que l’on a observés », conseille Andrée-Ann Dufour Bouchard.
Malgré les meilleures intentions parentales, il n’est pas rare que notre propre discours ait une incidence sur l’insatisfaction corporelle de nos enfants. Complimenter à outrance n’est pas une assurance pour une bonne image personnelle ! « Plutôt que d’être dans des commentaires sur le PARAÎTRE, on devrait mettre l’importance sur ce que le corps est capable de FAIRE, par exemple en soulignant les qualités techniques d’une figure plutôt que son apparence », explique la chef de projets à ÉquiLibre.
« Il faut aussi être à l’affût de toute comparaison, ajoute Karah Stanworth-Belleville. On gagne à valoriser plutôt l’unicité de chaque enfant et à toujours veiller de lui présenter une diversité corporelle. »
Comment savoir si un sport d’esthétisme fait plus de tort que de bien à notre enfant ? « Il faut évaluer si le sentiment de bien-être et de réussite, y compris le fameux plaisir, est toujours au rendez-vous », donne comme guide les spécialistes de l’organisme ÉquiLibre.