Je suis la maman de 4 merveilleux enfants que j’aime de tout mon cœur. Je me souviens de cette journée qui a changé le cours de notre histoire. On nous avait donné une boîte de vêtements encore trop grands pour ma plus jeune. C’est mon fils Charlot qui s’en est emparé pour enfiler une jolie robe blanche à sa taille. En voyant son reflet dans le miroir, il a dit à voix haute : « C’est moi! C’est moi! ». Comme s’il venait de se rencontrer pour la première fois.
Charlot avait 4 ans. Son père et moi avons été frappés, non pas par les mots, mais par l’intensité avec laquelle il les a prononcés. Dans la semaine qui a suivi, notre fils a dévalisé la boite, comme si ces vêtements étaient le plus grand des trésors.
Puissant, mais pas surprenant
Est-ce que nous étions surpris? Oui et non. Depuis sa naissance, Charlot avait toujours eu un côté féminin très développé et une grande attirance pour tous les trucs « de fille ». Il s’amusait avec des sacs à main, se déguisait en fée, jouait avec des figurines qui vivaient dans de superbes palaces roses et remplis de brillants. Dès l’âge de 2 ans, il se faisait des cheveux longs avec ses chandails et ne jouait qu’avec des filles à la garderie.
Point de non-retour
Mais cette fois-là, je sentais que c’était différent. Cette phrase ne cessait de me revenir en tête : « C’est moi! C’est moi! ». Les jours et les mois suivants ont déboulé très vite. Depuis sa découverte, son grand trésor, ses yeux pétillaient de bonheur. J’avais maintenant un nouvel enfant dans la maison : mon Charlot introverti était devenu l’opposé! Un enfant qui chante, danse, s’exprime, et rit en me répétant régulièrement qu’il est une fille.
Mon conjoint et moi avons beaucoup parlé avec notre fils, mais rien à y faire : sa vie venait de prendre un tout autre tournant. Il portait encore ses vêtements à lui, mais toutes les journées sans exception se terminaient en robe ou en jupe. Nous n’en faisions pas de cas : notre enfant n’avait jamais été si heureux et épanoui.
Comme je suis maman à la maison et qu’il n’allait pas encore à l’école, cette situation était facilement gérable entre nous. S’habiller en vêtements féminins faisait son bonheur, alors pourquoi pas? Par contre, à ce moment, j’insistais encore pour qu’il s’habille « en garçon » lorsque nous faisions des sorties. Mais plus le temps passait, plus ça devenait difficile : il s’est mis à refuser catégoriquement de porter ses propres vêtements. Nous étions confrontés à une réalité : notre Charlot se sentait incompris, et nous, complètement démunis dans toute cette histoire. Même si notre famille et nos amis nous supportaient, nous avions manifestement besoin d’aide : une personne compétente dans ce domaine.
Besoin d’accompagnement
J’ai donc fait appel à une psychologue qui m’a conseillé de faire disparaitre sur le champ tous ses vêtements féminins et de l’habiller en garçon, question de le remettre sur le droit chemin… J’étais bouleversée. Même si je ne m’y connaissais pas, je sentais que ce n’était pas un conseil qui permettrait à Charlot de s’épanouir. Pour l’entrée à la prématernelle, nous avons plutôt décidé de lui acheter des vêtements unisexes qui nous semblaient non-genrés. Pour lui qui commençait à parler de changer son prénom, c’était mieux que rien.
Nous avons ensuite entendu parler du pédiatre montréalais Shuvo Ghosh, qui travaille avec les enfants et les adolescents ayant une dysphorie du genre. Par la plus grande des chances — il y a parfois plus d’un an d’attente —, nous avons eu un rendez-vous quelques semaines plus tard.
Nous avions vraiment besoin d’aide et nous fondions tous nos espoirs en cette rencontre. Enfin, quelqu’un pourrait possiblement nous aider (notre enfant et nous) et ultimement, répondre à nos trop nombreuses inquiétudes et questions. Nous avions un criant besoin de nous faire rassurer, de nous faire confirmer que nous faisions les bonnes choses. Étions-nous de bons parents? Comme tous parents, nous voulions que notre enfant soit accepté, qu’il ait des amis, qu’il ait confiance en lui, qu’il s’épanouisse, qu’il soit fier de la personne qu’il est…
Le jour J est arrivé et cette rencontre nous a enlevé un poids énorme! Après avoir écouté l’histoire de Charlot, le docteur nous a confirmé qu’à cet âge, l’enfant peut déjà savoir à quel genre il s’associe et que, oui, il est aussi possible que l’enfant revienne en arrière dans quelques années. Le plus important demeure le bien-être de l’enfant au moment présent. Ce qui allait aussi de pair avec un changement de prénom. Un autre grand tournant pour nous tous : Charlie, notre fille, était « née ».
« Que notre enfant soit Charlot ou Charlie, c’était la personne que nous avions toujours aimée inconditionnellement. Je ne dis pas non plus que ça a toujours été évident, après avoir passé 4 ans avec un il ». — Rose-Emilie Turcot, maman de Charlie.
Faire le grand saut
Nous avons dès lors commencé à lui parler au féminin; il fallait s’y faire. Plusieurs parents vivant cette situation parlent d’une période de deuil, comme s’ils perdaient un enfant. Pour nous, ça n’a pas été le cas. Que notre enfant soit Charlot ou Charlie, c’était la personne que nous avions toujours aimée inconditionnellement. Je ne dis pas non plus que ça a toujours été évident, après avoir passé 4 ans avec un « il ». Son frère avait 6 ans à l’époque, et c’était difficile pour lui de tout comprendre. Mais nous avons tout misé sur la communication et au bout du compte, ce n’était plus un problème ni pour lui ni pour ses sœurs (une plus vieille et une plus jeune).
La nouvelle vie de Charlie
L’annonce à la prématernelle s’est vraiment bien déroulée : nous avons rencontré son enseignante, qui a été extraordinaire (et pas vraiment surprise, pour tout dire). Les enfants ont accepté Charlie comme elle était; elle avait plein d’amis qui n’y voyaient aucun problème. Nous venions de franchir une autre étape.
De notre côté, nous nous adaptions à ce nouveau changement. C’était un très grand bonheur pour nous de voir à quel point elle était acceptée de tous comme elle était. Mais je ne peux vous décrire à quel point les derniers mois avaient été épuisants émotivement pour toute la famille. Un mélange de peine, d’angoisses, de stress, de questions sans réponses… De voir Charlie plus heureuse que jamais nous donnait l’énergie pour continuer. Pour être là pour elle et nos 3 autres enfants.
« Charlie, sexe féminin »
L’entrée au primaire représentait un autre défi. Les enseignants et les intervenants du milieu scolaire ont été à l’écoute et très compréhensifs. Charlie a même partagé sa réalité à certaines amies et pour elles, ça ne changeait rien. Nous étions heureux que notre fille côtoie une équipe-école et des amis ayant une si grande ouverture d’esprit.
Quand Charlie a eu 6 ans, nous avons entamé les procédures pour son changement de nom officiel et le changement de mention de sexe, toujours avec un suivi régulier auprès du docteur Ghosh. La demande a été acceptée et nous avons reçu son nouvel acte de naissance. Elle était tellement heureuse de voir la mention « Charlie, sexe féminin ».
Charlie a aujourd’hui 9 ans. C’est une belle grande fille heureuse et déterminée, elle est remplie de rêves et surtout; elle est très fière de qui elle est. Nous communiquons énormément et je la sens à l’aise de nous poser toutes les questions qui lui passent par la tête. Je sais que sa vie sera pleine de défis, mais nous la vivons pour le moment un jour à la fois. Elle a déjà hâte de commencer à prendre ses hormones. Comme le processus de changement de sexe s’est amorcé très tôt, elle aura la chance de vivre sa puberté en même temps que les autres filles de son âge.
Et notre famille dans tout ça?
De notre côté, le bonheur au travers ce tumulte réside dans l’amour et la communication. Beaucoup d’écoute pour ce qui est dit et aussi souvent ce qui ne l’est pas… Nous nous rappellerons souvent que notre enfant n’a pas choisi cette situation. Charlie est née comme ça et sincèrement, nous l’avons toujours senti. Ce n’est pas facile tous les jours, mais nous gardons en tête que son bien-être est notre priorité. Nous sommes allés chercher de l’aide de spécialistes, mais aussi dans des groupes de parents qui vivent la même situation. Nous ne sommes pas seuls à vivre cela et ça fait un bien énorme d’aller à leur rencontre. Nous aimons notre enfant et l’acceptons, peu importe sa différence.
Je suis la maman de 4 merveilleux enfants. Ma grande de 19 ans, mon fils qui a 10 ans, ma pétillante Charlie qui vient d’avoir 9 ans et ma plus jeune qui a fait son entrée à la maternelle cette année. J’ai toujours rêvé d’avoir mon clan et ce souhait est comblé.
Quelques ressources pour les parents d’enfants transgenres |
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Un groupe de soutien et d’action composé de parents d’enfants transgenres. Un espace clinique communautaire pour les enfants/adolescents marginalisés et leurs familles, codirigé par le docteur Shuvo Ghosh. |
Par Rose-Emilie Turcot, maman de Charlie